Le défi du tapis blanc – ou comment les automobiles postales se sont frayé un chemin dans la neige
Les nouvelles technologies apportent toujours leur lot de complications. Le car postal, par exemple, a beaucoup évolué dans les années 1920 pour réussir à passer à travers les masses de neige des Alpes.
Jusque dans les années 1920, la diligence était le principal moyen de transport du courrier et des personnes. Dans les régions neigeuses, comme il était impossible aux diligences d’avancer dans la haute neige, elles cessaient de rouler pendant l’hiver ou étaient remplacées par des traîneaux de poste tirés par des chevaux. L’introduction du trafic motorisé, après la Première Guerre mondiale, s’est accompagnée, sur les lignes alpines, de nouveaux défis pendant les mois d’hiver. Non seulement la plupart des véhicules n’étaient que difficilement adaptables aux conditions hivernales, mais dans bien des régions les responsabilités du service d’hiver n’étaient pas clairement réglementées. Parallèlement aux communes et aux cantons, c’était souvent aussi la Poste qui assumait ces tâches coûteuses et astreignantes.
Au début du vingtième siècle, à l’époque des pionniers de l’automobile, les roues à rayons en bois étaient équipées de pneus pleins en caoutchouc, parfois munis en hiver de «chaussettes» ou d’autres solutions de fortune. Les véhicules restaient souvent bloqués étant donné leur manque de fiabilité ou des pannes de moteur, et il n’était pas rare qu’ils soient remorqués par des chevaux. Mais même les pneus gonflables, introduits pour les cars postaux en 1923 et sur lesquels on montait des chaînes à neige en hiver, ne répondirent pas aux besoins.
Il fallait pourtant pouvoir parcourir certains trajets toute l’année dans l’espace alpin avec des automobiles postales. Cela nécessitait donc de nouvelles solutions pour les mois d’hiver. Ainsi, en 1921, sur le tronçon Frutigen–Adelboden, la route fut déneigée par une charrue en bois tirée par camion, charrue qui servit ensuite de modèle pour les premiers appareils de déneigement de l’entreprise des automobiles postales dans la région de Coire.
Les responsables de l’administration suisse des postes trouvèrent de l’inspiration auprès des postes suédoises: là, des bus et des camions étaient équipés d’un moteur chenille développé par le chef de poste Nyberg.
En 1924, on acheta un moteur Nyberg en Suède et l’on testa cet agrégat sur le tronçon Coire–Churwalden. Il s’avéra que le moteur était trop faiblement dimensionné pour ce tronçon montagneux difficile. Malgré l’adjonction de pièces de renforcement, le mécanisme cessa d’être utilisable au bout de peu de temps. Mais le principe paraissait convaincant. En prévision de l’hiver 1925/1926, les PTT construisirent à leur propre manière, avec l’Atelier fédéral de construction de Thoune, une version renforcée, sous licence, du moteur Nyberg. Outre les éléments renforcés, elle se caractérisait par des chenilles en caoutchouc de 42 cm de largeur, dépassant de 10 cm le modèle suédois.
Cet hiver-là, un service régulier fut établi pour desservir le tronçon Coire–Lenzerheide. En outre, deux véhicules furent transformés en voitures-chasse-neige à moteur chenille et carrossages latéraux. En cas de fortes chutes de neige, on les équipait encore de charrues de déneigement et ils parcouraient continuellement le tronçon pour le maintenir aussi praticable que possible. Pour le transport des personnes et du courrier, quatre voitures alpines de modèle Car Alpin Saurer 2AAD furent équipées d’une version un peu allégée du moteur chenille, à titre d’essai.
Le bon résultat amena l’administration des postes à desservir également les trajets St-Moritz–Maloja et Reichenau–Flims d’automobiles postales en hiver. Pour cela, on équipa six véhicules supplémentaires du moteur chenille en 1926/1927. De plus, les PTT commandèrent une série d’environ dix nouvelles automobiles postales équipées de moteurs chenilles dès leur départ d’usine. Il est probable que d’autres véhicules encore ont été transformés au moyen du moteur chenille Nyberg. Vu la documentation lacunaire, ce n’est pas attesté à l’heure actuelle. L’administration des postes entreprit une autre tentative avec des véhicules à chenilles en 1929, avec deux Citroën Kégresse (P 1551 et P 1552), qui furent surtout utilisés dans l’Oberland bernois.
Dans cette phase ancienne du fonctionnement automobile d’hiver dans l’espace alpin, on remarque qu’un système déjà éprouvé en pratique a dû être remis en question et repensé: alors que pour les parcours en traîneaux à chevaux, il était optimal d’avoir une couche de neige d’une certaine épaisseur, les tentatives décrites ci-dessus montrèrent que ce n’était justement pas le cas pour rouler en automobile. Sur la route de la Maloja, le système du moteur chenille se heurtait donc à ses limites dans les périodes de fortes chutes de neige. Comme les automobiles roulaient mieux et à moindre coût sur des routes déneigées à l’avance et que les moteurs chenilles demandaient un entretien technique nettement plus coûteux, on emprunta d’abord à l’armée un chasse-neige à turbine. Dès la saison 1927/1928, la Poste utilisa son propre chasse-neige à turbine Hanomag/Saurer (Musée de la communication, PfM_0033), d’abord sur le tronçon de la Maloja, puis sur d’autres parcours de la région. On acheta également des chasse-neiges que l’on pouvait monter à l’avant des automobiles postales (Musée de la communication, PfM_0198). Jusque dans les années 1960, presque chaque car postal de montagne disposait, sur la tige de butée, d’une barre qui permettait de l’équiper d’un chasse-neige. Avec les besoins croissants des transports et l’augmentation des transports individuels dans les années 1950, le déneigement devint une affaire communale dans la plupart des régions. C’est aussi à cette époque que le développement rapide de la technologie automobile augmenta les performances des véhicules en hiver.
En 1933/1934 déjà, la plupart des véhicules équipés de moteurs Nyberg avaient été envoyés à la casse ou transformés, avec de nouvelles carrosseries et des roues motrices ordinaires.
Autor
Tim Hellstern, Konservator-Restaurator Technisches Kulturgut, Museum für Kommunikation, Bern